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Je suis en orbite autour d’une souche d’arbre ; l’appareil photo pointé sur mon sujet. Je photographie chaque point de vue. Par le déplacement de mon corps dans la zone de capture, je dessine une spirale autour du tronc au-dessus duquel je termine mon opération, en parfaite plongée.

 

Sept ans séparent la germination de mon prochain roman et la séance de photogrammétrie dans le sentier Dieppe du mont Saint-Hilaire, où je cogite mes textes en alternant la marche et la course. D’ordinaire, j’avance sur le sentier à pas rapides, zigzagant entre les racines et les roches, levant parfois les yeux pour embrasser la forêt d’un regard ouvert qui perçoit l’ensemble sans se fixer sur un point précis, une sorte de regard impressionniste, et j’entends la voix de ma narratrice qui me souffle à l’oreille ce que je vais écrire plus tard.

 

La photogrammétrie utilise des techniques de triangulation pour mesurer la distance entre l'appareil photo et les objets ou les surfaces qu'il photographie. Les images sont ensuite traitées à l'aide d'un logiciel pour générer un modèle 3D. L’exploration de cette technique de modélisation du réel me propulse sur la longueur d’onde de mon projet.

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Je me trouvais sur la Plaine des Six Glaciers en Alberta au moment où la première image de mon roman a pris racine dans mon imaginaire, à l’automne 2015. Je m’avançais lentement sur l’étroite moraine qui semblait former un fil au-dessus d’un abîme de vent polaire et de poussière. Autour de moi, les pointes d’un croissant de montagnes s’élevaient abruptement, créant l’impression d’une bouche aux dents pointues qui allait m’engloutir. En filigrane, à la surface de mon imaginaire, j’ai vu une femme s’avancer, nue, là où je me trouvais. Je savais qu’elle marchait depuis très longtemps et que le décor de son avancée ne ressemblait pas au mien. J’ai vu autour du personnage des arbres morts, des souches pétrifiées.

 

Un mois plus tôt, j’avais déposé un dernier baiser sur le front de ma mère, quelques minutes après son décès. Sa peau, froide, sèche et presque translucide, laissait paraître son crâne. Dans la lueur matinale, le visage de ma mère ressemblait à une écorce sur le point de se détacher de son bois.

 

En modélisant la souche de l’arbre mort, je préserve une trace tridimensionnelle, un double virtuel de la carcasse qui, elle, disparaîtra du paysage, décomposée en nutriments avalés par la forêt. 

Au moment de la séance de photogrammétrie, je ne sais pas encore ce que je ferai avec ce nouvel objet numérique. J’y perçois les résidus d’une nature décimée par l’humanité. Le foisonnement chaotique des feuilles tombées, déshydratées, entrelacées telles les mailles d’un tissage éphémère, ressemblent aux débris de civilisations effondrées dont le souvenir hante le personnage de mon roman futuriste.

 

En important la souche virtuelle dans Blender, sans texture, je découvre un paysage avec son lot de collines, de ruisseaux et peut-être même un ancien volcan. La numérisation de cette souche perdue au fond d’une forêt montérégienne se transmute en nouvel univers pictural.

 

Comme souvent dans mon processus artistique, je suis fascinée par le bilanx, la balance entre la décomposition organique et la composition virtuelle, qui se répondent dans mon travail, dans une sorte de respiration.

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photogrammétrie | modélisation & animation 3D | vidéos | texte: KAROLINE GEORGES

musique: ALEX FOREST

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